"Il y a eu de la mode avant la fast fashion, il pourra y en avoir après !"
"Il y a eu de la mode avant la fast fashion, il pourra y en avoir après !"
[Cet article a été initialement publié dans le guide IDÉES PRATIQUES #3: La mode éthique dans nos dressings, réalisé par ID L'Info Durable.]
Une entreprise qui s’engage dans la mode éthique, cela signifie quoi, concrètement ?
La mode éthique recouvre plein d’enjeux différents et souvent les marques ne sont pas engagées sur tous les enjeux en même temps : il y en a une qui va s’engager à fond sur l’économie circulaire, une autre sur la partie équitable, une autre s’axera sur la transparence, et une autre encore sur la mode inclusive. Une marque qui va travailler sur la mode inclusive ne va pas forcément travailler sur ses impacts environnementaux. Pour autant, les deux démarches sont intéressantes.
On pourrait se dire qu’une entreprise idéale est une entreprise qui travaille en même temps sur tous les enjeux, mais clairement, ce n’est pas évident ! Dans le secteur de la mode, la plus performante dans l’absolu c’est Patagonia, et typiquement elle n’a pas vraiment travaillé la question locale, sauf via l’économie circulaire et encore, elle ne le présente pas comme cela mais plutôt sous l’angle environnemental qui est son prisme de départ. Elle n’a pas vraiment non plus travaillé sur la mode inclusive...
C’est vraiment mission impossible, de travailler sur tous ces engagements à la fois ?
L’idée ce n’est pas de dire qu’il faut des boîtes parfaites, mais plutôt qu’il y a un grand nombre de sujets qui sont potentiellement des vecteurs d’engagement pour les marques, et à chacune de trouver son chemin. Ce qu’on constate dans la mode et ailleurs c’est que plus vous vous engagez, plus vous... vous engagez. Une marque qui s’engage sur un sujet va amorcer un dialogue avec ses clients, ses parties prenantes, ses salariés, et peut-être qu’ainsi, dans le temps, elle s’engagera davantage sur d’autres sujets.
C’est comme cela qu’avance d’ailleurs Patagonia : elle a commencé sur le slow, puis la dimension écologique des fibres, puis l’économie circulaire avec sa campagne sur la réparation, et demain elle sera peut-être sur autre chose. Elle devient alors une interlocutrice privilégiée sur ces sujets. Quand une ONG veut faire une campagne sur les conditions d’élevage des canards avec le duvet desquels on fait des doudounes, elle interpelle Patagonia car elle sait que l’entreprise va répondre et dire : "Ah, oui, c’est un sujet sur lequel on ne travaillait pas jusqu’à présent, mais effectivement il y a des choses à faire". Et donc, elle va travailler sur un label qui s’impose dans tout le secteur (Global Traceable Down Standard, avec NSF International, créé en 2015, NDLR.).
Ces marques "vertes" font aussi très souvent un gros travail de communication sur ces engagements.
Les marques de mode sont de manière générale assez communicantes, ce qui leur donne une autre influence : elles disent ce qui est cool et ce qui ne l’est pas, ce qui est socialement valorisé. Et comme tel, elles ont une très grande responsabilité dans le fait de dire que le développement durable, c’est "cool". Cela fait basculer potentiellement les comportements des consommateurs et donne raison aux plus engagés. Une marque qui ne communiquerait pas du tout sur ces questions-là, cela dit des choses. Quand vous regardez la communication de Veja par exemple, elle est très centrée sur ces sujets. Mais vous avez aussi des marques qui en parlent, à mon avis, un peu plus que ce qu’elles font, comme Sézane. Ils prennent un petit risque d’image à court terme, mais finalement c’est aussi vertueux parfois parce qu’on les challenge plus et ils vont être amenés à agir plus rapidement que ce qu’ils auraient fait s’ils n’avaient pas communiqué.
Les grandes tendances pour réinventer la mode, c’est donc aujourd’hui la transparence, le local...
La transparence tout d’abord oui parce qu’aujourd’hui avec les réseaux sociaux, les médias, une émission comme Cash Investigation, les applications comme Clear Fashion, les études faites par les ONG, cette transparence se passe avec ou sans les marques. Voilà pourquoi, quand une tendance comme celle-ci naît dans la société, vous avez des marques pionnières qui s’en emparent et qui en font vraiment un gros point de différenciation. Par exemple Everlane, qui décompose ses prix pour les expliquer : cette partie va aux fournisseurs de coton à tel endroit, celle-ci aux transporteurs, etc. Cela pousse les autres à le faire : vous avez ainsi des marques comme Marks & Spencer, Nike, G-Star et même Primark qui mettent en ligne soudainement des cartographies interactives de leurs fournisseurs, avec en plus des éléments sur leur performance sociale, des audits... Cela met la pression, surtout que cela se passe sur d’autres marchés comme sur l’alimentation, donc les gens ont des attentes.
Il y a effectivement aussi le made in local, qui n’implique pas forcément que le tissu vienne d’à côté de chez moi car le coton ne pousse pas près de Paris, mais cela implique que je sache où il est fabriqué a minima. Une marque comme Agnès b. est extrêmement claire sur le sujet, elle affiche depuis toujours le pays où ses vêtements sont faits. Elle a un discours très transparent sur le fait que l’industrie française étant sinistrée, elle a du mal à maintenir certaines productions en France. L’important c’est de ne pas raconter d’histoires. Pour du made in France à 100 %, il faudrait changer radicalement la consommation et n’avoir plus que 15 vêtements dans ses placards, les gens le savent. Le fait d’avoir des fibres responsables est aussi une grande tendance, lorsque vous connaissez l’impact du coton, vous comprenez l’intérêt du coton bio ; du côté des procédés de teintures et des traitements chimiques des fibres, il faut comprendre les enjeux sanitaires mais aussi sociaux et environnementaux sur les productions de cultures...
Un autre grand enjeu de la mode éthique est celui de l’économie circulaire ?
Comme aujourd’hui on achète deux fois plus de vêtements et qu’on les utilise deux fois moins longtemps, que la fast fashion ne cesse de renouveler ses collections avec des prix très bas, qu’elle produit trop – on a vu le scandale des invendus –, il faut là aussi bien sûr trouver des solutions. Il y a également le fait d’être tout simplement dans un mode de production slow, car l’enjeu aujourd’hui ce n’est pas de proposer quelques gammes vertes mais de savoir si on peut remettre en cause cette frénésie... Avec cette quarantaine de la consommation due à la Covid, l’industrie de la mode s’est arrêtée : on a vu Armani prendre position sur le fait que c’était l’occasion de ralentir, on a vu le fondateur d’A.P.C. faire une lettre ouverte au secteur en disant que le minimalisme était l’exception hier et devait être la règle demain... Donc on va voir ce que cela changera : il y a une possibilité d’essayer de ralentir cette cadence qui s’était accélérée au-delà du réel. On a quelques signaux positifs, même s’ils restent très faibles. Le dernier point, c’est évidemment de travailler sur une mode plus inclusive (qui s’attache à représenter les personnes sans distinction de genre, de poids, de sexe, de couleur de peau, ndlr) et diverse.
Est-ce qu’il ne faudrait pas tout simplement en finir avec le modèle du low cost aujourd’hui ?
Il y a un peu cette idée de dire aujourd’hui qu’on ne va pas changer de modèle mais plutôt en limiter les impacts négatifs, d’où les engagements de certaines marques sur l’économie circulaire et le recyclage. Mais la solution aux déchets, comme le disent nombre d’ONG, c’est de produire moins de déchets. Donc effectivement, dans cette industrie et d’autres, le problème c’est l’accélération de la production : le cœur du réacteur, c’est le modèle économique !
Vous avez espoir en sa disparition un jour ?
Le modèle de la fast fashion est assez récent et ça c’est plutôt une bonne nouvelle : il n’a même pas vingt ans ! Donc on pourrait s’en passer : il y a eu de la mode avant la fast fashion, il pourra y avoir de la mode après. Je pense que c’est jouable. Et cela passe peut-être par des choses qui ne dépendent pas de nous, dont la crise.
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